Par : Yves Delecraz
Document : Defrénois n°13-14, 30 juillet 2017, page 23.
Cet article a été publié dans le cadre d’un dossier du Defrénois.
Un bien peut, par le jeu du droit de retour, échapper à la succession de son propriétaire et réintégrer le patrimoine dont il dépendait à l’origine. Ce mécanisme radical, qui puise sa source tant dans la loi que dans le contrat, est bien connu de la pratique notariale. Il est cependant plus complexe qu’il n’y paraît. Un rappel des conditions d’application des droits de retour légaux et une analyse des clauses usuelles de droit de retour conventionnel permettent d’illustrer cette complexité.
L’essentiel
- Les droits de retour légaux, que l’on rencontre fréquemment dans la pratique notariale, sont complexes.
- L’impact sur la liquidation de la succession est parfois même source d’incertitude.
- Pour plus de sécurité, le praticien préférera mettre en œuvre un droit de retour conventionnel dès lors toutefois que la clause d’origine, dans l’acte de donation, a été bien rédigée.
NDLR –Cet article est la publication de l’intervention de l’auteur aux Journées notariales de la personne et des familles qui se sont tenues à l’école du notariat de Paris les 6 et 7 mars 2017.
Le droit de retour est classiquement défini comme le droit en vertu duquel une personne hérite de biens qu’elle avait elle-même transmis, à l’origine, à titre gratuit au défunt décédé sans postérité1.
Le droit de retour permet donc à certains biens d’échapper aux règles successorales ordinaires pour revenir à la personne de qui le de cujus les tenait ; cette vocation héréditaire atypique est qualifiée de succession anomale et a pour fondement historique la conservation des biens dans la famille.
Ce mécanisme de réappropriation au profit du propriétaire initial est original en droit patrimonial de la famille, plutôt caractérisé par des mécanismes qui stabilisent les situations acquises (irrévocabilité des donations, immutabilité des régimes matrimoniaux, intangibilité de la réserve…) ; or il s’agit bien ici d’un mécanisme radical de remise en cause : la transmission initiale est en effet effacée a posteriori et le bien échappe à la succession du donataire en remontant dans le patrimoine du donateur.
Il puise d’abord sa source dans la loi qui organise avec précision, en présence de biens de famille, le droit de retour légal au profit de trois catégories de bénéficiaires : les père et mère (C. civ., art. 738-2), les frères et sœurs (C. civ., art. 757-3) et les familles adoptives et d’origine dans la succession de l’adopté simple (C. civ., art. 368-1).
Le droit de retour peut également être créé dans un contrat de donation avec le droit de retour conventionnel, bien connu de la pratique notariale, qui peut être stipulé au profit du donateur en cas de prédécès du donataire avec ou sans postérité (C. civ., art. 951). Le droit de retour conventionnel est fréquemment, voire systématiquement stipulé dans les actes de donation.
Ce mécanisme original est en réalité beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et dix ans après la loi du 23 juin 20062, qui réforme sur de nombreux points le droit de retour légal, de nombreuses questions demeurent.
Que le droit de retour soit légal ou conventionnel, il est indispensable pour le praticien en charge du règlement de la succession d’en maîtriser les conditions d’application. À défaut, liquidation et partage de la succession risquent d’être erronés et la responsabilité du liquidateur engagée.
Après un rappel des différents droits de retour légaux, c’est par une analyse pratique de quelques clauses usuelles contenues dans les actes de donation que sera abordé le droit de retour conventionnel.
I – Les différents droits de retour légaux : complexités et incertitudes
En l’absence d’enfants, c’est logiquement la présence du conjoint qui détermine le déclenchement potentiel d’un droit de retour : que le défunt laisse un conjoint survivant ou non et le droit de retour est déclenché ou pas. En effet, la vocation successorale du conjoint, en l’absence d’enfant, opère un transfert du bien d’une famille à une autre et le droit de retour permet alors de neutraliser ce transfert en maintenant le bien dans la famille d’origine.
Au fil des réformes, le législateur a progressivement accru les droits du conjoint survivant et cet accroissement s’est fait au détriment des autres ordres d’héritiers de sang.
Soucieux d’assurer par ailleurs la conservation des biens dans la famille d’origine, le législateur a créé, parallèlement à l’accroissement des droits du conjoint survivant, des droits de retour au profit de certains héritiers évincés par celui-ci3.
Ainsi, les frères et sœurs bénéficient d’un droit de retour portant sur la moitié des biens de famille lorsque le conjoint est seul héritier et recueille l’intégralité de la succession (C. civ., art. 757-3).
La suppression ensuite de la réserve des ascendants a été, elle aussi, accompagné de la création d’un nouveau droit de retour légal, celui des père et mère du défunt, sur les biens donnés (C. civ., art. 738-2).
Enfin, il est un cas où l’arbitrage des intérêts en présence a été effectué, cette fois au profit du conjoint, c’est le cas de la succession de l’adopté simple. Les biens reçus à titre gratuit de l’adoptant lui retournent dès lors que l’adopté ne laisse non seulement aucun descendant mais également aucun conjoint. Désormais, le droit de retour ne joue plus lorsque l’adopté simple, décédé sans postérité, laisse son conjoint, ce qui n’était pas le cas auparavant (C. civ., art. 368-1).
Si le droit de retour des frères et sœurs, d’une part, et celui dans le cadre de l’adoption simple, d’autre part, sont conformes au mécanisme traditionnel, le droit de retour des père et mère est en revanche, à bien des égards, original.
A – Le droit de retour légal des frères et sœurs
Le législateur a créé en faveur des frères et sœurs un nouveau droit de retour (C. civ., art. 757-3)4 portant sur la moitié des biens que le défunt a reçus à titre gratuit, dans l’hypothèse où ses père et mère sont prédécédés.
Il nous faut d’abord envisager les conditions de mise en œuvre avant d’analyser ses effets.
1 – Les conditions de mise en œuvre du droit de retour des frères et sœurs
D’une manière générale, le droit de retour ne joue que lorsque des conditions particulières, tant relatives à la structure familiale qu’à la structure patrimoniale, sont réunies.
a – Quant à la structure familiale
Le défunt doit laisser uniquement le conjoint et des frères et sœurs ou des neveux et nièces (ni descendant, ni père, ni mère).
Les frères et sœurs doivent être les descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission. L’objectif initial de conservation des biens de famille est évident ici ; il s’agit bien de conserver les biens dans la famille et il faut donc rechercher le lien de parenté existant entre le collatéral et l’ascendant à l’origine de la transmission.
Ainsi :
- les frères et sœurs germains du défunt peuvent toujours exercer le droit de retour ;
- les frères et sœurs utérins ne pourront l’exercer que si le défunt laisse des biens donnés par sa mère ou recueillis dans sa succession ;
- Idem pour les frères et sœurs consanguins concernés uniquement par les biens provenant du père.
Exemple
M. X décède, laissant pour recueillir sa succession :
- Mme X son épouse ;
- M. A son frère germain ;
- M. B son frère consanguin ;
- Mme C sa sœur utérine.
Il n’a pris aucune disposition testamentaire. Il avait reçu de son père par donation une maison en Haute-Savoie et recueilli dans la succession de sa mère un appartement à Lyon.
Le droit de retour porte sur la moitié de la maison et de l’appartement mais il ne profite aux frères et sœurs qu’en fonction de leur lien de parenté avec l’ascendant à l’origine de la transmission :
- M. A recueille au titre du droit de retour un quart de la maison de Haute-Savoie et un quart de l’appartement de Lyon ;
- M. B recueille seulement un quart de la maison ;
- Mme C recueille seulement un quart de l’appartement.
Il faut noter que la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant avait supprimé, dans un souci de simplification, la distinction entre frères et sœurs germains, utérins et consanguins (C. civ., art. 749 et C. civ., art. 750, al. 2). En réalité, cette distinction se trouve réintroduite par le biais du retour légal des frères et sœurs.
b – Quant à la structure patrimoniale
Les biens concernés par ce droit de retour doivent satisfaire à deux conditions cumulatives :
- ils doivent avoir été reçus par le défunt de ses ascendants par donation ou succession ;
- ils doivent se retrouver en nature dans le patrimoine du défunt.
Les biens doivent d’abord avoir été reçus par le défunt de ses ascendants. La loi du 23 juin 2006 a étendu le champ d’application de l’article 757-3 aux biens reçus de tous les ascendants et non plus seulement des père et mère5. Cette extension permet notamment de prendre en compte les biens transmis dans le cadre d’une donation-partage transgénérationnelle, ainsi que ceux reçus par représentation d’un enfant renonçant.
Ces biens doivent avoir transmis à titre gratuit : donnés, légués ou transmis ab intestat dans la succession. Sont donc exclus les biens acquis à titre onéreux.
Ils doivent ensuite se retrouver en nature dans le patrimoine du défunt. Tous les biens, quelle que soit leur nature, sont concernés : biens immobiliers mais aussi parts de société, fonds de commerce, etc. Ils ne doivent donc pas avoir été aliénés du vivant, ni avoir fait l’objet d’une disposition à cause de mort car le droit de retour de l’article 757-3 du Code civil n’est pas d’ordre public. Il suffit donc que le défunt ait consenti une donation entre époux à son conjoint pour faire échec au droit de retour des frères et sœurs.
Le notaire n’a ainsi aucune précaution particulière à prendre en cas de vente d’une propriété de famille par une personne mariée, sans enfant et ayant des frères et sœurs6.
En pratique
1/ Quelle est l’incidence d’une clause de retour conventionnel dans l’acte de donation consentie par les parents ?
A priori, aucune, puisque la stipulation d’un droit de retour est sans effet dès lors que l’ascendant donateur est prédécédé. Il existe néanmoins un cas où il y a concurrence entre le droit de retour conventionnel et le droit de retour légal : lorsqu’une donation-partage transgénérationnelle contient un droit de retour au profit des grands-parents donateurs. En cas de prédécès du petit-enfant donataire laissant seulement son conjoint et des frères et sœurs, il y a concurrence entre le droit de retour conventionnel des grands-parents et le droit de retour légal des frères et sœurs.
Dans cette hypothèse, et c’est une règle générale, c’est le droit de retour conventionnel qui prime puisqu’il joue comme une condition résolutoire qui anéantit la donation ; le bien donné est alors traité comme s’il n’avait jamais quitté le patrimoine des grands-parents.
2/ Le droit de retour peut-il s’exercer si le bien reçu est une somme d’argent ?
En principe, le droit de retour ne concerne que les biens de famille se retrouvant en nature dans la succession, ce qui devrait conduire à exclure les sommes d’argent qui n’ont pas cette qualification. Pour autant, le texte ne vise pas expressément les biens de famille et une jurisprudence ancienne a admis l’application de ce droit de retour aux sommes d’argent données par le défunt à la condition toutefois que la succession dispose de deniers en quantité suffisante (T. civ. Lyon, 22 janv. 1895, cité par Grimaldi M., Successions, 6e éd., 2001, Litec, n° 257, note 25).
La majorité de la doctrine actuelle considère néanmoins que le droit de retour ne s’applique pas sur une somme d’argent ; la fongibilité de l’argent exclut en effet l’individualisation et donc la condition de retrouver le bien en nature n’est pas remplie. Il faut ajouter que la finalité de conservation des biens de famille n’existe pas s’agissant simplement d’une somme d’argent (Levillain N., « Succession », JCl formules, fasc. n° 230, Avis partagé par le Cridon Lyon [Mme Morello]).
3/ Le droit de retour peut-il s’exercer lorsque le bien reçu à titre gratuit a fait l’objet de transformations ?
Le bénéficiaire du droit de retour légal recueille les biens de la succession anomale en qualité d’héritier. C’est pourquoi, à la différence du bénéficiaire du droit de retour conventionnel, il les reçoit dans l’état matériel et juridique dans lequel ils se trouvent au jour de l’ouverture de la succession et compte tenu de la valeur des biens à cette date.
En pratique, le notaire peut être confronté à des difficultés d’évaluation lorsque le bien objet du droit de retour légal a été transformé ou modifié par le défunt. Les améliorations profitent à la succession anomale tout comme elle souffrira, à l’inverse, des dégradations éventuelles, puisque le texte ne prévoit aucun mécanisme correcteur.
Il en est de même si le bien reçu à titre gratuit est un terrain sur lequel a été édifié un immeuble.
La majorité de la doctrine considère que le droit de retour intègre les constructions (Grimaldi M., op. cit., n° 2, n° 259, 3°).
Il faut bien admettre que cette règle est susceptible, en pratique, de poser des difficultés entre le conjoint survivant et les frères et sœurs dans l’hypothèse où la construction a été financée par le couple. Il faut cependant noter que dans l’hypothèse où le couple était marié sous le régime de la communauté, le conjoint va bénéficier indirectement d’une indemnisation par le jeu de la liquidation du régime matrimonial car la succession devra une récompense à la communauté qui profite pour moitié au conjoint survivant. En revanche, pour des époux séparés de biens, la situation est plus délicate car il n’est pas certain que le conjoint puisse faire valoir une créance.
2 – Les effets du droit de retour des frères et sœurs
a – L’assiette du droit de retour : une moitié des biens
Le droit de retour ne joue que sur une moitié des biens et ce quel que soit le nombre de frères et sœurs bénéficiaires du droit de retour. C’est une nouveauté dans notre droit (traditionnellement, les droits de retour portaient sur la totalité des biens afin d’assurer leur maintien dans la famille d’origine) et elle témoigne du refus du législateur de trancher entre les intérêts du conjoint, d’un côté, et ceux des frères et sœurs, de l’autre7.
Le droit de retour de l’article 757-3 du Code civil crée donc une indivision entre le conjoint survivant et les frères et sœurs. On peut d’ailleurs penser que l’objectif de conservation des biens de famille est susceptible d’être remis en cause en cas de mésentente (ou de besoin de liquidités pour permettre aux frères et sœurs d’acquitter les droits de succession) pouvant conduire à une vente du bien.
b – La contribution au passif successoral
Bien que l’article 757-3 ne le précise pas, le bénéficiaire de la succession anomale, comme tout héritier, est tenu des dettes ultra vires successions.
Se pose alors la question de la répartition du passif entre la succession ordinaire et la succession anomale ; elle s’opère proportionnellement à l’actif brut de chaque succession.
Corollaire de l’obligation ultra vires, l’héritier bénéficiaire du droit de retour bénéficie de l’option successorale ; il peut accepter la succession purement et simplement ou à concurrence de l’actif net. Il peut également y renoncer. Son option est, conformément au droit commun, indivisible et il ne peut donc limiter son acceptation en la cantonnant à tel ou tel bien.
Le droit de retour légal étant un droit dans la succession, son bénéficiaire ne peut y renoncer avant l’ouverture de la succession ; une telle renonciation constituerait un pacte sur succession future.
c – Les conséquences fiscales
On sait qu’à la différence du droit de retour conventionnel, le droit de retour légal est fiscalisé et son bénéficiaire soumis aux droits de succession comme tout héritier.
d – Un exemple chiffré
M. X décède en laissant son épouse Mme X, séparée de biens, et sa sœur germaine Mme Y, mère de trois enfants.
M. X n’a consenti aucune libéralité.
Son patrimoine est composé des biens suivants :
- une maison à Évian estimée 300 000 € recueillie meublée dans la succession de ses père et mère ;
- un appartement à Lyon estimé 500 000 € acquis par les deux époux et constituant le logement de la famille ;
- un portefeuille titres d’une valeur au décès de 100 000 € ;
- des liquidités pour un montant de 50 000 € ;
- le mobilier garnissant la maison et l’appartement pour une valeur de 30 000 €, soit 15 000 € à Évian et 15 000 € à Lyon.
Le passif est composé :
- des frais funéraires pour 1 500 € ;
- des taxes foncières et d’habitation pour 8 000 € ;
- du solde IRPP pour 5 000 € ;
- de factures diverses pour 5 000 €.
La présence d’un bien de famille reçu dans la succession des parents déclenche la division de la succession en deux : succession ordinaire et succession anomale.
La succession ordinaire, entièrement dévolue au conjoint survivant (C. civ., art. 757-2), comprend tous les biens à l’exception de la maison d’Évian et du mobilier qui la garnit.
La succession anomale dévolue pour moitié au conjoint et pour moitié à Mme Y comprend la maison d’Évian et son mobilier.
Le passif se répartit entre les deux successions à proportion de la valeur respective des biens qui les composent :
Montant du passif (1 500 + 8 000 + 5 000 + 5 000) | 19 500,00 € |
Montant de l’actif de la succession anomale (300 000 + 15 000) | 315 000,00 € |
Montant de l’actif de la succession ordinaire (500 000 + 100 000 + 50 000 + 15 000) | 665 000,00 € |
Montant de l’actif total | 980 000,00 € |
dont 315/980 pour la succession anomale et 665/980 pour la succession ordinaire | |
Liquidation de la succession ordinaire | |
Actif brut (appartement Lyon + titres + liquidités + meubles Lyon) | 665 000,00 € |
Passif (quote-part proportionnelle) | – 13 232,00 € |
Actif net revenant en totalité à Mme X | 651 768,00 € |
Droits | Néant |
Liquidation de la succession anomale | |
Actif brut (maison Évian + meubles Évian) | 315 000,00 € |
Passif (quote-part proportionnelle) | – 6 268,00 € |
Actif net | 308 732,00 € |
Revenant pour moitié à Mme X | 154 366,00 € |
Droits dus par Mme X | Néant |
Revenant pour moitié à Mme Y | 154 366,00 € |
Droits dus par Mme Y : | |
Abattement | 15 932,00 € |
De 0 à 24 430 : 35 %, soit | 8 550,50 € |
De 24 430 à 138 434 : 45 %, soit | 51 301,80 € |
Total des droits dus par Mme Y | 59 852,00 € |
B – Le droit de retour légal dans la succession de l’adopté simple
La dévolution successorale d’une personne qui a fait l’objet d’une adoption simple est complexe lorsque celle-ci ne laisse à sa survivance ni descendant ni conjoint survivant. Les biens reçus à titre gratuit par le défunt de ses père et mère ou de l’adoptant font retour à celui dont ils proviennent (C. civ., art. 368-1)8.
1 – Les conditions de mise en œuvre du droit de retour de l’article 368-1
Là encore, il faut un contexte familial et un contexte patrimonial particuliers.
a – Quant à la structure familiale
Le défunt ne doit laisser ni descendant, ni conjoint.
Les bénéficiaires du droit de retour sont les pères et mères dans chaque famille (par le sang et adoptive) ou leurs descendants.
En cas de prédécès des pères et mères dans chaque famille, le droit de retour appartient à ses descendants, c’est-à-dire aux frères et sœurs du défunt.
b – Quant à la structure patrimoniale
Le droit de retour de l’article 368-1 porte sur les biens donnés par les père et mère dans chaque famille ou ceux que l’adopté a recueillis dans la succession de l’un d’eux.
Ces biens doivent, comme pour le droit de retour de l’article 757-3 du Code civil, exister en nature.
Sont ainsi exclus les biens vendus et ceux dont l’adopté a disposé à titre gratuit par acte entre vifs ou testamentaires.
En pratique
1/ Quelle est l’incidence d’une clause de retour conventionnel dans l’acte de donation ?
Comme pour le droit de retour des frères et sœurs, un droit de retour conventionnel stipulé dans l’acte de donation consentie par les parents fait échec au droit de retour légal. Le droit de retour conventionnel prime le droit de retour légal.
2/ Quid lorsque le bien reçu à titre gratuit par l’adopté simple est une somme d’argent ?
La solution est la même que pour le droit de retour de l’article 757-3 ; la question est discutée.
3/ Quelle valeur doit être retenue pour le bien objet du retour légal ?
Le bénéficiaire du droit de retour légal recueille les biens de la succession anomale en qualité d’héritier. C’est pourquoi il les reçoit dans l’état matériel et juridique dans lequel ils se trouvent au jour de l’ouverture de la succession (avec les éventuelles améliorations qui ont pu être apportées au bien reçu à titre gratuit).
2 – Les effets du droit de retour de l’article 368-1
a – La contribution au passif successoral
Le bénéficiaire du droit de retour contribue au passif successoral dans la proportion de ce qu’il recueille et il bénéficie de l’option successorale. Étant toutefois précisé que la renonciation par un successeur anomal accroît aux autres héritiers anomaux et non aux héritiers ordinaires et que la renonciation de tous les successeurs anomaux fait disparaître la succession anomale au profit de la succession ordinaire.
b – Les conséquences fiscales
Sur le plan fiscal, les droits de mutation par décès sont exigibles sur les biens faisant l’objet du retour légal.
c – Exemple chiffré
M. X, veuf de Mme Y, sans enfant, décède en laissant :
- son père : M. A ;
- un frère : M. B ;
- une sœur : Mme C.
M. X a fait l’objet d’une adoption simple par Melle D, sa tante célibataire, sœur de son père.
Son patrimoine est composé des éléments suivants :
Actif : | |
Un appartement à Lyon reçu dans la succession de sa mère Mme X, d’une valeur au décès de | 300 000,00 € |
Un studio à Évian ayant appartenu à ses grands-parents et lui ayant été donné par sa tante, d’une valeur au décès de | 100 000,00 € |
Des liquidités pour | 50 000,00 € |
Un portefeuille titres pour | 20 000,00 € |
Du mobilier pour | 5 000,00 € |
Total de l’actif brut | 475 000,00 € |
Passif : | |
Frais funéraires pour | 1 500,00 € |
Taxes foncières et d’habitation pour | 1 500,00 € |
Solde IRPP pour | 1 000,00 € |
Factures diverses pour | 1 000,00 € |
Total du passif | 5 000,00 € |
Actif net total | 470 000,00 € |
L’absence de descendants et de conjoint et la présence de biens reçus à titre gratuit de la mère par le sang et de la mère adoptive déclenche la division de la succession en trois :
- la succession ordinaire qui revient pour moitié à la famille d’origine et pour moitié à la famille adoptive et qui comprend tous les biens sauf l’appartement de Lyon ;
- la succession anomale d’origine qui revient au parent d’origine ;
- la succession anomale adoptive qui revient au parent adoptif.
Le passif se répartit proportionnellement entre la succession ordinaire et les successions anomales.
Passif (1 500 + 1 500 + 1 000 + 1 000) | 5 000,00 € |
Actif succession anomale d’origine (appartement de Lyon) | 300 000,00 € |
Actif succession anomale adoptive (studio d’Évian) | 100 000,00 € |
Actif succession ordinaire (surplus de l’actif) | 75 000,00 € |
Actif total | 475 000,00 € |
Dont : | |
– 300/475 pour la succession anomale d’origine | |
– 100/475 pour la succession anomale adoptive | |
– 75/475 pour la succession ordinaire | |
Le passif se répartit comme suit : | |
Pour la succession anomale d’origine : 5 000 (passif total) x 300/475 | 3 158,00 € |
Pour la succession anomale adoptive : 5 000 x 100/475 | 1 053,00 € |
Pour la succession ordinaire : 5 000 x 75/475 | 789,00 € |
Liquidation de la succession ordinaire | |
Actif brut (liquidités + portefeuille titres + mobilier) | 75 000,00 € |
Passif (quote-part proportionnelle) | 789,00 € |
Actif net | 74 211,00 € |
Revenant pour moitié à la famille d’origine : | 37 105,00 € |
Soit ¼ pour le père M. A | 9 276,00 € |
Et ¾ pour les frère et sœur, soit : | |
– pour M. B (3/8) | 13 914 € |
– et pour Mme C (3/8) | 13 914 € |
Et revenant pour l’autre moitié à la famille adoptive : | |
Soit en totalité à la mère adoptive, Mme D, pour | 37 105 € |
Liquidation de la succession anomale d’origine | |
Actif brut (appartement de Lyon) pour | 300 000,00 € |
Passif (quote-part proportionnelle) | 3 158,00 € |
Actif net | 296 842,00 € |
Revenant aux descendants de Mme X pour moitié chacun, soit : | |
– pour M. B : | 148 421,00 € |
– et pour Mme C : | 148 421,00 € |
Liquidation de la succession anomale adoptive | |
Actif brut (studio d’Évian) pour | 100 000,00 € |
Passif (quote-part proportionnelle) | 1 053,00 € |
Actif net | 98 947,00 € |
Revenant en totalité à l’adoptante Mme D : | 98 947,00 € |
Droits des parties :Monsieur A | |
Dans la succession ordinaire : | 9 276,00 |
Dans la succession anomale d’origine : | Néant |
Dans la succession anomale adoptive : | Néant |
Total de ses droits | 9 276,00 |
Monsieur B | |
Dans la succession ordinaire : | 13 914,00 € |
Dans la succession anomale d’origine : | 148 421,00 € |
Dans la succession anomale adoptive : | Néant |
Total de ses droits | 162 335,00 € |
Madame C | |
Dans la succession ordinaire : | 13 914,00 € |
Dans la succession anomale d’origine : | 148 421,00 € |
Dans la succession anomale adoptive : | Néant |
Total de ses droits | 162 335,00 € |
Madame D | |
Dans la succession ordinaire : | 37 105,00 € |
Dans la succession anomale d’origine : | Néant |
Dans la succession anomale adoptive : | 98 947,00 € |
Total de ses droits | 136 052,00 € |
Total des droits (correspondant à l’actif net arrondi) | 469 998,00 € |
C – Le droit de retour légal des père et mère
On sait que la loi du 23 juin 2006 a supprimé la réserve des ascendants. Initialement prévue sans contrepartie, cette suppression a finalement été accompagnée de la création d’un droit de retour légal (C. civ., art. 738-2)9 dont l’objectif est là encore la conservation des biens dans la famille. L’objectif est clair : éviter que les biens de famille ne soient totalement dévolus au conjoint survivant.
À bien des égards, ce nouveau droit de retour est original par rapport aux deux autres.
1 – Les conditions de mise en œuvre du droit de retour des père et mère
a – Quant à la structure familiale
Le défunt ne doit laisser aucun descendant mais il peut laisser un conjoint ; la question a pu être discutée notamment parce que le droit de retour des parents est prévu dans le Code civil dans une section intitulée « Des droits des parents en l’absence de conjoint successible » mais la majorité de la doctrine considère qu’il faut faire primer l’esprit sur le texte et qu’il s’applique en présence d’un conjoint, et même surtout en présence d’un conjoint avec l’objectif de la conservation des biens de famille10.
Ici, seuls les père et mère bénéficient du droit de retour à l’exclusion de leurs descendants (c’est-à-dire les frères et sœurs du défunt).
b – Quant à la structure patrimoniale
Le défunt a reçu de ses parents des biens par donation et seulement par donation (et non par succession puisque par définition les parents sont vivants) et ces derniers, originalité majeure, peuvent avoir été aliénés (différence avec les droits de retour des articles 757-3 et 368-1) puisqu’alors le droit de retour s’exerce en valeur. Le gratifié ne peut donc y faire échec en cédant à titre onéreux les biens donnés ou en les léguant ; le notaire chargé de la succession devra ici faire preuve d’une grande vigilance11.
Ensuite, la valeur des biens soumis au droit de retour s’impute sur les droits successoraux légaux des parents.
Il ne s’agit donc pas d’une véritable succession anomale qui se caractérise par une dévolution particulière fondée sur la nature des biens et indépendante de la succession ordinaire.
Il faut noter ici qu’en matière de droit de retour légal des père et mère, à la différence du droit de retour conventionnel, la vente du bien donné ne nécessite aucune précaution particulière visant à sécuriser la transaction (par exemple une intervention du donateur à l’acte comme en matière de droit de retour conventionnel) puisque les père et mère ne peuvent poursuivre le tiers acquéreur pour exercer leur droit. Ils l’exercent sur l’actif successoral et dans la limite de celui-ci. En tout état de cause, s’agissant d’un droit de nature successorale, là encore les père et mère ne peuvent y renoncer avant l’ouverture de la succession.
En pratique
1/ Incidence d’une clause de retour conventionnel dans l’acte donation
Le droit de retour conventionnel prime là encore et le jeu de la clause résolutoire anéantit la donation.
2/ La question du jeu du droit de retour en présence d’une donation de somme d’argent
À la différence des deux autres droits de retour qui portent sur les biens en nature, ici le droit de retour n’a finalement plus vocation à assurer la conservation du bien dans la famille et peut donc jouer sur une somme d’argent, plus précisément sur le montant nominal de la somme donnée.
3/ Quid de l’évaluation des biens soumis au droit de retour ?
Les biens doivent être évalués dans leur état à la date de l’ouverture de la succession quelles que soient les modifications apportées. Lorsque le bien a été aliéné et que le droit de retour s’exerce en valeur, il joue sur une valeur correspondant au prix de vente ou à la valeur donnée.
2 – Les effets du droit de retour des père et mère
a – L’assiette du droit de retour
Cette question met en évidence une autre originalité qui correspond à la principale controverse relative au droit de retour des père et mère car, aussi surprenant que cela puisse paraître, on ne sait toujours pas, 10 ans après la réforme des successions, sur quoi il porte.
Aux termes de 738-2, les parents peuvent exercer un droit de retour à concurrence des quotes-parts fixées au premier alinéa de l’article 738, c’est-à-dire un quart.
L’expression « à concurrence des quotes-parts » peut être interprétée de deux façons : soit le retour porte sur les biens donnés à concurrence d’un quart de la succession, soit il porte sur un quart des biens donnés.
La question reste discutée aujourd’hui12.
Or, selon l’interprétation retenue, les résultats sont très différents.
Exemple
M. X décède en laissant son père et sa mère.
Il a institué M. Y légataire universel.
L’actif net successoral est de 400 ; il comprend un immeuble de rapport évalué à 120 que le défunt avait reçu par donation de ses père et mère à concurrence de moitié chacun.
Les père et mère sont exhérédés par le testament mais ils peuvent exercer leur droit de retour légal sur les biens donnés à leur enfant.
1re interprétation : droit de retour portant sur un quart de la succession
Le droit de retour porte pour chaque parent sur la moitié de l’immeuble donné (60) mais est limité au quart de la succession 400/4 = 100.
Chaque parent peut ainsi recevoir la totalité de la valeur des biens qu’il a donnés et ce, sans fiscalité.
Le légataire reçoit l’actif net de succession, déduction faite de la valeur des droits de retour soit 400 – 120 = 280. Le père et la mère reçoivent 60 chacun.
2e interprétation : droit de retour portant sur un quart des biens donnés
Le droit de retour est limité à un quart des biens donnés soit 120/4 = 30, soit 15 pour chaque parent.
Le légataire reçoit l’actif net de succession, déduction faite de la valeur des droits de retour soit 400 – 30 = 370. Le père et la mère reçoivent 15 chacun.
L’interprétation retenue par le notaire aura naturellement un fort impact sur le montant des droits revenant au parent donateur. Il faut dire que dès le lendemain de la loi du 23 juin 2006, le droit de retour des père et mère a fait l’unanimité contre lui. Le 106e congrès des notaires de France a même émis le vœu de le supprimer et de le remplacer par une obligation alimentaire viagère à la charge des héritiers acceptants (Livre Blanc des simplifications du droit, 2014, Conseil Supérieur du Notariat).
b – La contribution au passif successoral
Les parents bénéficiaires du droit de retour légal contribuent-ils au passif ? La question est discutée. Le droit de retour des parents, même s’il ne constitue pas une véritable succession anomale, est un droit de nature successorale qui impose que le bénéficiaire soit tenu proportionnellement au passif successoral.
c – Les conséquences fiscales
Dernière originalité du droit de retour des père et mère : bien que de nature légale et à la différence des deux autres, il bénéficie d’un régime de faveur et n’est pas soumis aux droits de mutation à titre gratuit (CGI, art. 763 bis).
d – La question du concours avec les autres droits de retour
Il peut y avoir concours avec le droit de retour de l’article 368-1 du Code civil lorsque quatre conditions sont réunies :
- le défunt ne laisse ni descendant, ni conjoint survivant ;
- les biens soumis au droit de retour sont des biens donnés ;
- ces biens se retrouvent en nature dans le patrimoine du défunt ;
- l’ascendant donateur est toujours en vie.
Quel droit de retour faut-il appliquer ? Il faut appliquer celui de l’article 368-1 qui un droit spécial et plus protecteur du bénéficiaire puisqu’il s’applique sur l’intégralité du bien donné et s’ajoute aux droits ab intestat de son bénéficiaire13.
Ces difficultés d’application du droit de retour légal et en particulier l’incertitude relative à son assiette renforce l’intérêt du droit de retour conventionnel qui peut être aménagé dans le contrat de donation et qui sauvegarde infiniment mieux les intérêts du donateur.
II – Les avantages du droit de retour conventionnel ou l’efficacité d’une clause bien rédigée
Le droit de retour conventionnel est prévu par l’article 951 du Code civil : « Le donateur pourra stipuler le droit de retour des objets donnés soit pour le cas du prédécès du donataire seul, soit pour le cas du prédécès du donataire et de ses descendants. Ce droit ne pourra être stipulé qu’au profit du donateur seul. »
Le droit de retour conventionnel n’est pas de nature successorale, il s’agit d’un mécanisme purement contractuel qui s’analyse en une condition résolutoire. La donation est faite sous la condition résolutoire du prédécès du donataire, laquelle anéantit purement et simplement la donation. Tout se passe comme si la donation n’avait jamais été consentie, le bien n’étant jamais sorti du patrimoine du donateur. Les aliénations à titre gratuit comme à titre onéreux ainsi que les constitutions de droit réels éventuellement consenties par le donataire sont donc rétroactivement anéanties, d’où la nécessaire intervention du donateur au moment d’une aliénation pour renoncer au droit de retour ; il s’agit là d’une différence fondamentale avec le droit de retour légal.
En raison de sa nature conventionnelle, ce droit est totalement indépendant de la succession du donataire. Point n’est besoin pour son bénéficiaire d’être apte à succéder ou même d’accepter la succession. Cette différence de nature explique également le fait que le droit de retour conventionnel ne donne pas ouverture aux droits de mutation par décès et que son bénéficiaire ne soit pas tenu au passif successoral14.
S’agissant d’un droit stipulé dans l’acte de donation lui-même, on retrouve ici le rôle central du notaire architecte de son acte et garant de son efficacité.
Or les clauses de retour conventionnel, bien connues de la pratique notariale, s’avèrent parfois délicates à mettre en œuvre parce qu’imprécises ou mal rédigées. Le notaire est ici parfois dépendant de bibles informatiques et de formules inadaptées15.
En pratique
1/ Le droit de retour en cas de renonciation des descendants du donataire décédé
L’article 951 vise expressément l’hypothèse du décès du donataire seulement ou du donataire et de ses descendants.
Dans cette seconde hypothèse, qu’en est-il lorsque des descendants sont vivants mais renoncent tous à la succession de leur auteur ? Si l’on considère que la renonciation équivaut à l’inexistence des descendants, le droit de retour joue, sinon il est paralysé.
La question longtemps discutée a été tranchée par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 mai 201216, confirmé par un arrêt du 16 septembre 201417, qui précise que « l’héritier renonçant est censé n’avoir jamais été héritier » et qu’en conséquence un héritier renonçant ne peut faire obstacle au droit de retour, qu’il soit conventionnel ou légal d’ailleurs.
Il subsiste cependant une difficulté en cas d’indignité des descendants.
Le notaire doit donc être précis dans la rédaction de la clause pour tenir compte de la volonté du donateur de bénéficier du droit de retour dans ces hypothèses.
Exemple de clause : M. X, donateur, réserve expressément à son profit le droit de retour sur les biens donnés, conformément à l’article 951 du Code civil, en cas de prédécès du donataire sans descendant apte à lui succéder (indignité, renonciation)18.
2/ Le droit de retour en cas de libéralité entre époux
Parmi les multiples restrictions qu’il est possible de prévoir à l’application du droit de retour conventionnel, il est assez courant de stipuler des clauses précisant que ce droit ne fera pas échec aux libéralités en usufruit que le donataire pourrait consentir à son conjoint ou à son partenaire pacsé et de penser alors que ce dernier est parfaitement sécurisé ; il n’en est rien car la limitation conventionnelle au droit de retour légal n’a aucun effet sur le droit de retour légal d’ordre public de l’article 738-2 et il est indispensable de le rappeler expressément pour la parfaite information des clients.
Exemple de clause : M. X donateur, réserve expressément à son profit le droit de retour sur les biens donnés conformément à l’article 951 du Code civil (…).
Le droit de retour ne fera pas obstacle aux libéralités [il est possible de limiter aux libéralités en usufruit mais la limitation peut être totale ici et permettre la mise en œuvre de toute libéralité au profit du conjoint ou du conjoint et du partenaire pacsé] que le donataire pourrait consentir à son conjoint [ou à son partenaire de pacs]. Les parties sont informées du fait qu’au décès du donataire, le donateur pourra, nonobstant une telle libéralité, revendiquer dans la succession, les droits que lui accorde le droit de retour légal de l’article 738-2 du Code civil.
3/ Le droit de retour en cas de donation de somme d’argent
Le droit de retour a vocation à s’appliquer en valeur sur la somme d’argent nominale donnée. Il est cependant possible de tenir compte des emplois éventuellement réalisés par le donataire pour que le droit de retour puisse s’exercer sur le bien acquis au moyen de la somme d’argent donnée ; il est même possible de palier le risque de dépréciation monétaire et de prévoir que le droit de retour sera revalorisé dans l’hypothèse où le bien acquis a une valeur supérieure au jour de l’ouverture de la succession.
Exemple de clause : M. X réserve expressément à son profit le droit de retour prévu par l’article 951 du Code civil (…). Le droit de retour ne s’exercera en principe que sur le montant nominal de la somme d’argent donnée. Toutefois, si celle-ci a servi à acquérir un bien, autre qu’un bien dont la dépréciation était inéluctable par nature, le droit de retour s’exercera sur la valeur de ce bien, au moment du décès du donataire, d’après son état au jour de l’acquisition.
Au plan fiscal, il est admis que le retour peut être stipulé en valeur et qu’il engendre une créance déductible de la succession du donataire19.
4/ Le droit de retour sur les biens donnés ou ceux qui en seraient la représentation
À la différence du droit de retour légal qui porte, en cas de vente du bien donné, uniquement sur une valeur correspondant au prix de vente sans jamais pouvoir porter sur les biens que la somme d’argent a pu permettre d’acquérir, en matière de droit de retour conventionnel, il est possible, et d’ailleurs de pratique courante, de prévoir la subrogation conventionnelle en stipulant que le droit de retour s’exercera soit sur les biens donnés, soit sur les biens qui en seront la représentation. Il s’agit là de la clause apparemment la plus fréquemment utilisée en pratique.
En présence d’une telle stipulation, le droit de retour s’exerce sur le bien donné ou sur le bien acquis en remploi du prix en cas de vente du bien donné par le jeu de la subrogation réelle conventionnelle.
Or cette clause fréquente en pratique n’est pas toujours opportune alors que la volonté du donateur n’est pas forcément de pouvoir exercer un droit de retour sur le nouveau bien subrogé et acquis au moyen du produit de la vente du bien initialement donné.
Il faut ici vérifier la volonté des parties car il est possible que le donateur souhaite plutôt pouvoir exercer un droit de retour en valeur, en argent, sur le prix de vente du bien donné dès lors qu’il aura accepté que ce dernier soit vendu par le donataire ; le jeu automatique de la subrogation réelle n’est peut-être pas ici opportun.
Ensuite, lorsque cette clause est utilisée, l’intervention du donateur est requise systématiquement au moment d’une vente pour qu’il renonce expressément au droit de retour pour sécuriser l’opération et garantir le risque d’éviction de l’acquéreur.
Deux observations :
- d’abord, l’intervention du donateur n’est pas obligatoire puisque le droit de retour n’a pas vocation à s’exercer en nature sur le bien initialement donné mais seulement sur le prix ou sur le bien subrogé, ce qui suppose donc que le donataire puisse librement vendre le bien donné ;
- ensuite, l’intervention du donateur à l’acte de vente telle que pratiquée habituellement (et par application automatisée des formules informatiques) n’est sans doute pas opportune puisque le donateur renonce purement et simplement au droit de retour en nature comme en valeur, alors qu’il conviendrait de limiter son intervention à une renonciation du droit de retour en nature tout en conservant un droit de retour en valeur sur le prix de vente.
Exemple de clause : Le droit de retour conventionnel présentement stipulé ne portera pas atteinte au droit du donataire d’aliéner à titre onéreux le bien donné, lequel pourra procéder à cette aliénation sans le concours ni l’intervention du donateur. Dans ce cas, le donateur ne pourra prétendre revendiquer le bien aliéné entre les mains de son propriétaire à l’époque du décès du donataire et le droit de retour sera seulement dû de la valeur du bien donné au jour de l’aliénation.
Il faut noter également que la clause classique (droit de retour sur les biens donnés ou ceux qui en seraient la représentation) présente un risque fiscal. En effet il est à craindre que l’Administration (qui ne s’est pas prononcée sur cette question) considère qu’il s’agisse d’une dation en paiement, la créance de restitution étant payée par la remise en nature du bien acquis en remploi. Elle est alors susceptible de taxer l’opération aux droits de mutation à titre onéreux20.
Le donateur peut parfaitement renoncer du vivant du donataire au droit de retour, car il renonce au bénéfice d’une condition résolutoire non encore réalisée.
Une question pratique intéressante est de savoir si le donateur peut y renoncer après le décès du donataire. Cette renonciation est valable en elle-même mais la question de ses conséquences est plus délicate.
Il s’agit, pour évaluer les conséquences tant civiles que fiscales de cette renonciation, de procéder à sa qualification.
La majorité de la doctrine l’analyse en un acte translatif : le jeu de la condition résolutoire fait remonter le bien automatiquement dans le patrimoine du donateur et le transfert donateur/héritiers du donataire est une libéralité21.
À la différence de la renonciation à succession qui est analysée comme extinctive sauf lorsqu’elle est effectuée expressément au bénéfice d’une personne désignée, ici, on considère qu’elle est translative au bénéfice des héritiers du donataire et qu’elle constitue une nouvelle donation entre le donateur et les héritiers du donataire ; lorsqu’il s’agit du conjoint, elle déclenche des droits de mutation à titre gratuit au taux de 60 %.
Des clauses de retour optionnel prévoyant expressément la faculté pour le donateur de faire jouer, ou non, le droit de retour, ont été envisagées pour neutraliser les conséquences dommageables d’une renonciation ; il faut cependant être prudent tant que l’Administration et la jurisprudence ne se sont pas prononcées sur l’efficacité de telles clauses22.
5/ Le droit de retour dans une donation-partage conjonctive ou cumulative
Ces donations-partages présentent l’intérêt de fondre les biens donnés provenant des lignes paternelle et maternelle en une seule et même masse, de sorte que, indépendamment des attributions effectivement réalisées, chacun des attributaires est censé avoir été alloti proportionnellement de biens provenant de chacune des lignes.
D’où évidemment une interrogation majeure en cas de réalisation de la condition du prédécès du donataire : la restitution portera-t-elle sur le bien effectivement reçu par lui du parent survivant, ou bien sur la quote-part représentative de la contribution de ce parent dans la masse des biens donnés ?
La jurisprudence n’a pas, jusqu’à présent, marqué de préférence nette pour l’une ou l’autre des solutions. La Cour de cassation décide qu’il faut s’en remettre à la volonté des parties, ce qui est simple lorsqu’elle est clairement exprimée mais aléatoire lorsque tel n’est pas le cas23. Or, le plus souvent, les actes de donation-partage conjonctive ou cumulative ne comportent qu’une clause-type ne fournissant aucune précision sur la portée du retour, ce qui est une source de contentieux.
Pour orienter le rédacteur, et sans embarrasser les clients avec des questions complexes de liquidation, il est possible de leur demander ce qui motive la clause de retour :
- s’il s’agit avant tout de conserver les biens dans la famille, on choisira un retour sur les biens ayant appartenu au donateur et figurant dans le lot du donataire prédécédé (critère relatif à l’origine des biens) ;
- si le retour revêt alors un caractère indemnitaire, on utilisera plutôt un retour proportionnel (critère proportionnel).
Exemple de clause (critère proportionnel) : Les donateurs font réserve à leur profit, chacun d’eux en ce qui le concerne, du droit de retour prévu à l’article 951 du Code civil sur le ou les biens présentement donnés et partagés pour le cas où l’un des donataire-copartagé viendrait à décéder avant lui sans descendant apte à lui succéder.
Ce droit de retour s’exercera, non en considération de l’origine des biens, mais dans la proportion de ceux respectivement apportés par chacun des donateurs dans la masse commune à partir de laquelle les lots des donataires copartagés ont été constitués.
L’exercice éventuel du droit de retour ainsi réservé ne remettra jamais en cause les attributions faites aux donataires copartagés survivants, lesquelles seront au contraire entièrement maintenues.
Modèle de clause (critère relatif à l’origine des biens) : Les donateurs font réserve expresse à leur profit, chacun d’eux en qui le concerne, du droit de retour prévu à l’article 951 du Code civil sur le ou les biens présentement donnés et partagés, pour le cas où l’un des donataires-copartagés viendrait à décéder avant lui sans descendant apte à lui succéder.
Ce droit de retour s’exercera, pour chacun des donateurs en ce qui le concerne, sur tous les biens par lui donnés au donataire décédé avant lui sans descendant vivant.
L’exercice éventuel du droit de retour ainsi réservé ne remettra jamais en cause les attributions faites aux donataires-copartagés survivants, lesquelles seront au contraire entièrement maintenues.
1 –Professeur Cornu G., Vocabulaire juridique, 10e éd., PUF, 2014.
2 –V. dossier « 10e anniversaire de la loi du 23 juin 2006 », Defrénois 15 janv. 2017.
3 –Leprovaux J., « L’évolution des droits de retour légaux dans la législation contemporaine du droit des successions », LPA 2 juill. 2007, p. 6.
4 –C. civ., art. 757-3 : « Par dérogation à l’article 757-2, en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par succession ou donation qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission. »
5 –Avant la loi du 23 juin 2006, le droit de retour était limité aux biens reçus à titre gratuit des père et mère.
6 –Autrement dit, la renonciation par les frères et sœurs à leur droit de retour n’est pas requise au moment de la vente (elle ne serait d’ailleurs d’aucune efficacité comme constituant un pacte sur succession future).
7 –Rapp. du 13 nov. 2001 au nom de la commission mixte paritaire : doc. AN n° 3382 et doc. Sénat n° 67.
8 –C. civ., art. 368-1 : « Dans la succession de l’adopté, à défaut de descendants et de conjoint survivant, les biens donnés par l’adoptant ou recueillis dans sa succession retournent à l’adoptant ou à ses descendants, s’ils existent encore en nature lors du décès de l’adopté, à charge de contribuer aux dettes et sous réserve des droits acquis par les tiers. Les biens que l’adopté avait reçus à titre gratuit de ses père et mère retournent pareillement à ces derniers ou à leurs descendants. Le surplus des biens de l’adopté se divise par moitié entre la famille d’origine et la famille de l’adoptant ».
9 –C. civ., art. 738-2 : « Lorsque les père et mère ou l’un d’eux survivent au défunt et que celui-ci n’a pas de postérité, ils peuvent dans tous les cas exercer un droit de retour, à concurrence des quotes-parts fixées au premier alinéa de l’article 738, sur les biens que le défunt avait reçus d’eux par donation. La valeur de la portion des biens soumis au droit de retour s’impute en priorité sur les droits successoraux des père et mère. Lorsque le droit de retour ne peut s’exercer en nature, il s’exécute en valeur, dans la limite de l’actif successoral. »
10 –Terré F., Lequette Y. et Gaudemet S., Droit civil : Les successions, Les libéralités, 4e éd., 2013, Précis Dalloz, n° 228.
11 –Les biens donnés par les parents peuvent avoir été vendus de nombreuses années avant l’ouverture de la succession du donataire mais pour autant le droit de retour n’aura pas disparu. Il est donc impératif que l’audit de l’historique du patrimoine soit réalisé de manière complète et que les donations éventuelles soient répertoriées.
12 –La majorité de la doctrine semble retenir la première interprétation (1/4 de la succession) : Brenner C., « Libéralités », JCl. Civil, fasc. 10, n° 51 ; Terré F., Lequette Y. et Gaudemet S., op. cit., n° 24, n° 231. En faveur de la deuxième interprétation : Péterka N., « Les retouches à la dévolution successorale », Dr. famille 2006, étude 52, n° 6.
13 –Levillain N., « Successions », JCl formules, fasc. 240, n° 34.
14 –S’agissant du régime fiscal, non seulement le droit de retour n’est pas taxable aux droits de succession, mais les droits de donation acquittés lors de la donation initiale peuvent faire l’objet d’une demande de restitution ou d’imputation sur les droits générés par une nouvelle donation consentie en ligne directe dans les cinq ans du retour des biens dans le patrimoine du donateur (CGI, art. 791 ter).
15 –V. Epailly D., « Quelques suggestions de l’Atelier Droit Patrimonial de la Famille à propos de la clause de retour conventionnel », brochure Cridon Bordeaux-Toulouse, févr. 2011, n° 161, Nota Bene 648 et 649.
16 –Cass. 1re civ., 23 mai 2012, n° 11-14104 : Bull. civ. I, n° 112 ; Defrénois flash 4 juin 2016, n° 113h9, p. 1 ; Defrénois 30 oct. 2012, n° 40628, p. 1023, note Dauriac I.
17 –Cass. 1re civ., 16 sept. 2014, n° 13-16164 : Bull. civ. I, n° 148 ; Defrénois flash 29 sept. 2014, n° 125c8, p. 1.
18 –Karm A. et Kroell A., « Droit de retour conventionnel : actualité et perspective », JCP N 2016, 82, spéc. n° 48.
19 –Merlot R.-M. : JO, 13 juill. 2004, p. 5319 : « Si les biens ont été aliénés ou constituent des choses fongibles, le donateur a, pour l’exercice de son droit de retour, une créance contre la succession du donataire et cette créance est déductible de la succession comme tenant lieu des mêmes biens. »
20 –V. Epailly D., op. cit.
21 –Ruffieux G., « Le non-exercice par le donateur de son droit de retour conventionnel », Defrénois 30 nov. 2015, n° 121k6, p. 1186. Contra Grimaldi M., Libéralités, partages d’ascendants, 2000, Litec, p. 182.
22 –V. Karm A. et Kroell A., op. cit.
23 –Cass. 1re civ., 14 févr. 1962 : JCP G 1962, II 12662 – Cass. 1re civ., 26 janv. 1954 : JCP G 1954, II 8038.